Jouy-sous-Thelle : Balade contée autour des Horgnes
C’est un temps à ne pas cheminer à travers la campagne.
C’est un temps de pluie glacée et de vent en rafales.
Un temps à rester confiné au-dedans, cheminée crépitante, charentaises et thé fumant, le regard lointain derrière la vitrée.
Ici, « les Horgnes », petit écart distant de Jouy sous Thelle, fief du cardinal Pélevé, l’illustre ligueur des guerres de religions.
L’origine du mot « Horgne », remonte au Moyen-Âge. Il désignait alors des magasins, des entrepôts, des granges dépendant de l’abbaye locale où étaient stockées les denrées agricoles.
Comme il a bien changé en un peu plus d’un siècle ce hameau situé en bord d’une ravine que domine Porcheux.
En ces lieux, des moutons pâturaient autrefois dans un verger clos d’aubépiniers et autres pruneliers. Aujourd’hui, il ne reste que quelques rares témoins de ce qui fut, comme ce vénérable et creux poirier, hébergeur d’essaims, et ces quelques « épines », rougeoyantes à l’automne.
Dans la cour d’une ancienne ferme attenante, un puits d’une profondeur remarquable nous rappelle combien l’accès à l’eau était difficile en ce pays de craie. Autre témoignage, les vestiges, encore visibles aujourd’hui, de nombreuses mares bâties pour recueillir l’eau de pluie.
De même, se comprend mieux, le toponyme « le sec », accolé aux noms de villages sur ce plateau du Thelle où le silex est roi.
Au milieu du XIXème siècle, cultures, élevages, industries, fabriques et commerces faisaient vie en ces lieux.
Dans la rue principale du hameau, le charron côtoyait le journalier au débit de boisson. Heurtant le sol, les sabots ferrés des lourds attelages faisaient lever les yeux de la dentellière de « blondes » penchée sur son ouvrage.
Dans les petits ateliers à façon, les boutonniers travaillaient la nacre dont les chutes irisées, parsèment encore les chemins, scintillant au soleil.
On pouvait voir s’élever la fumée blanche d’un four à chaux dans le bois d’à coté.
Sans doute, cette chaussée fut parcourue par des hulans prussiens stationnant non loin de là lors de la guerre de 1870.
Autre témoin de la révolution industrielle de cette fin de siècle, le Méru-Labosse au panache de suie filant à travers le bocage sous le regard de bovins indolents.
Les habitants du hameau pouvaient prendre le train à la halte de Belle-assise.
Les Horgnes et les Horgnettes figuraient déjà sur d’anciennes cartes.
Leurs parcellaires indiquaient les noms de propriétaires qui, encore à ce jour, s’affichent sur certaines boites aux lettres.
Jusqu’au XVIème siècle, la vaste forêt de Thelle où le loup rodait, s’étendait non loin de là. Mais laissons nos yeux survoler ces paysages en des temps plus lointains.
A une portée de mousquet, une rectiligne et antique chaussée Brunehaut s’étirait jusqu’à Beauvais.
Cette voie a été le passage obligé de tant de voyageurs, de pèlerins, de soldats pendant des millénaires.
Les légions de César allant soumettre l’armée du Bellovaque Correus, peut être l’empruntèrent. Le long de cette chaussée, des fermes et des villas de la pax romana, ne reste que leurs fantômes sous forme de céramiques caractéristiques enfouies au milieu des silex.
Entre les Horgnes et Porcheux, les traces d’une station datée des époques lithiques nous ramènent à des temps plus anciens encore. Des chasseurs-cueilleurs avaient sans doute établi là un atelier. On y a recueilli de ces premiers outils que l’homme a façonnés.
Aux temps géologiques, bien avant l’apparition et la prolifération des mammifères, nos lointains ancêtres, nous étions ici sous la mer du Crétacé. En son fond, des collines de sédiments crayeux accueillaient une faune pélagique spécifique. Des oursins fossilisés que les labours font apparaître, témoignent de cet épisode marin.
En se retirant, la mer a laissé un vaste plateau émerger.
Des millions d’années d’érosion ont creusé le relief, donnant ce paysage sur lequel homo sapiens s’est installé.
Celui là même dont les descendants se sont perpétués malgré les guerres, les prédateurs, les épidémies et autres catastrophes :
Ont-t-ils couru plus vite que les autres pour échapper aux fauves ?
Ont-t-ils été épargnés par la peste noire ?
Ont-t-ils été trop fragiles pour partir à la guerre ?
Et tant d’autres questions à jamais sans réponse.
Ainsi, le voyageur immobile héritier de ces milliers de générations de survivants, médite sur l’extraordinaire métamorphose de l’espace et du temps, le regard lointain derrière la vitrée. Peu à peu, la nuit tombe comme un rideau sur ce remarquable spectacle sans cesse rejoué de la terre et des hommes, avec pour décor les Horgnes, petit hameau de l’Oise …
Rédaction : Dominique et Marc ADENOT 05/2021