Hérouval-Montjavoult : Le peintre Dado

Né à Cetinje, Royaume de Yougoslavie, Miodrag Djuric, dit Dado (1933-2020) était un peintre, dessinateur, graveur et sculpteur [1], amoureux de son Vexin.

Lien vers la carte Zone A : Montagny-en-Vexin

Il arrive à Paris de Belgrade en août 1956, où il subsiste grâce à de menus travaux, notamment dans l’atelier de lithographie de Gérard Patris, où très vite l’artiste Jean Dubuffet (1901–1985) le remarque et le présente à son marchand, le grand résistant Daniel Cordier (1920-2020), qui fut le secrétaire de Jean Moulin (alias Rex).

C’est le même Daniel Cordier, qui possédait une maison de campagne à Courcelles-les-Gisors, qui est à l’origine de l’installation de Dado dans le Vexin, car Dado ne supportait plus l’univers urbain parisien. Daniel Cordier l’amène donc en 1958 à Courcelles-lès-Gisors, où Dado installe un atelier dans une salle de bal et cinéma désaffecté, avant de s’établir définitivement au Moulin d’Hérouval en 1960. Il découvre sa nouvelle région d’adoption et c’est un véritable « coup de foudre avec son Vexin normand et français ». « La lumière du Vexin aussi, c’est ma lumière d’adoption », disait-il aussi. Sa peinture changera radicalement au contact de sa nouvelle région d’adoption, pour devenir plus colorée, plus lumineuse.

Évoquant sa fascination face à la beauté des paysages du Vexin, Dado confiera dans un entretien accordé à Artpress en 2009 : « Je n’avais jamais vu un champ de blé de ma vie. Au Monténégro, il n’y en avait pas. » De fait, la fascination de Dado pour la faune et la flore remonte à l’enfance et s’inscrit au cœur de sa démarche artistique dès l’origine, encouragée par sa mère, professeur de sciences naturelles, et son grand-père maternel, premier médecin hygiéniste au Monténégro, deux figures tutélaires qu’il disait être l’origine du « phénomène Dado ».

La rencontre de Dado avec le Vexin, c’est aussi sa rencontre avec les murs si particuliers de cette région, qu’il découvre à Courcelles-les-Gisors, et que l’on retrouve dans nombre de ses peintures : murs lézardés, abîmés, murs de l’après-guerre, de la France très marquée des années 1950. Dès son arrivée à Hérouval, en 1960, il réalisera des fresques, aujourd’hui disparues, bien avant donc qu’il ne s’attelle aux fresques de la chapelle Saint-Luc, lui, qui voyait dans les tags un langage urbain authentique, et plaçait les peintures pariétales des grottes Chauvet et du Pech-Merle au-dessus de tout. La chapelle Saint-Luc, à Gisors, est arrivée dans son parcours après son intervention dans la cave vinicole des Orpellières, une autre réalisation majeure, dans le sud de la France.

La rencontre de Dado avec le Vexin, c’est aussi une rencontre humaine, celle d’un artiste déraciné, venu de Yougoslavie, pays très lointain à l’époque, avec les gens du coin, des figures aujourd’hui disparues, comme le Père Lévêque ou la Mère Gérard, qui font partie de l’histoire des anonymes, pas de la grande histoire, celle de la France des années 1950, qui se relevait encore d’un conflit meurtrier, où les enfants allaient travailler à l’usine à 13 ou 14 ans, comme Dado le racontera plus tard à Christian Derouet en 1981. Lui, l’exilé, allait spontanément vers les humbles. « On est un peintre humaniste ou on n’en est pas un », disait-il. C’est le Père Lévêque, par exemple, qui lui fait découvrir l’équarrissage de la Bellée, où il ira chercher des os en compagnie de son nouvel ami rencontré à la Galerie Daniel Cordier, Bernard Réquichot (1929–1961), tragiquement disparu à l’âge de trente-deux ans. Ces personnages du Vexin, tout comme les motifs empruntés au paysage de la région, figurent aussi dans le chef-d’œuvre dédié à ce cher ami (1929–1961), La Grande Ferme. Hommage à Bernard Réquichot (1962-1963), donné par Daniel Cordier au Centre Pompidou.

L’œuvre protéiforme de Dado, s’il est avant tout celui d’un peintre et d’un dessinateur, est aussi celui d’un graveur prolifique mais aussi celui d’un sculpteur. Déjà, dans les années 1980, alors que se développe sa passion pour le naturaliste Buffon, surgissent les premiers fauteuils peints du Cabinet d’Histoire naturelle. Suite à l’incendie de son atelier, en 1989, et alors que son pays d’origine connaît un conflit meurtrier, Dado recourt de plus en plus aux objets divers – poupées, sculptures, souches de bois, carcasses de voiture – avec lesquels il compose des sculptures, jusqu’aux ultimes bronzes en hommage à ses amis artistes disparus, réalisés avec la complicité de l’atelier Bocquel à Fécamp, qui seront exposés au palazzo Zorzi, lors de la Biennale de Venise, où Dado représenta le Monténégro en 2009. Il réalisa également de nombreuses peintures sur céramique. Dans les dernières années de sa vie, Dado s’intéressera au numérique, en créant un site internet, un anti-musée virtuel, baptisé Syndrome Dado, avec la complicité de son gendre, Pascal Szidon, qui reçut pour sa version anglaise, de l’ICOM [International Council of Museums], l’autorisation d’utiliser l’extension muséum alors jusque-là réservée au seul usage des musées.

Dado, dont le Centre Pompidou à Paris possède une importante collection grâce aux différentes donations de Daniel Cordier, avait émis le souhait d’être inhumé sur sa terre natale. Il eut des funérailles nationales au Monténégro, le 3 décembre 2010, et repose en pleine nature, sur le site de Košćele. De sa tombe, située à quelques kilomètres de sa ville natale, Cetinje, la vue est magnifique : on voit la rivière Rijeka Crnojevića et par beau temps, au loin, le plus grand lac des Balkans, le lac Skadar, qu’il aimait tant. « La valeur d’une peinture ne peut être reconnue que 10, 30, 40, 50 ans après son exécution. Il faut que de la poussière tombe des toiles pour qu’on puisse juger de leur qualité. Il faut qu’il y ait une distance. C’est exactement la même chose lorsque vous voyez le lac de Skadar. Lorsqu’on nage dans le lac, on ne peut pas bien le voir. Il faut monter à Košćele pour l’admirer. Cela vaut pour les tableaux comme pour les livres », déclarait-il à Monitor, un magazine monténégrin, en 1996.

Rédaction : Amarante Szidon, fille de Dado, que nous remercions, 06/2021

Pour en savoir plus :
https://www.dado.fr/